Le 21 juin j’ai commencé à travailler sur mon nouveau film «Praha-Florenc», qui sera donc le premier d’une série de films sur des lieux à travers le monde et qui mènera peut-être à un long métrage regroupant une dizaine de telles capsules faites à partir de tournages dans différentes parties du monde. À date je dispose, outre le tournage fait à Prague en mai dernier, de trois autres éléments, un tournage fait le 16 novembre 2003 au temple Senjo Ji, dans le quartier Asakusa à Tokyo, un tournage fait à Faro au Portugal, entre le7 et le 9 décembre 2005, du passage de chemin de fer à niveau qui barre l’entrée du port, et finalement, un tournage d’une cour d’école à Buenos Aires, vue en plongée à partir de ma chambre d’hôtel , fait le 9 avril 2008. Tous ces éléments sont pour l’instant restés intouchés car je ne savais pas encore tout à fait de quelle façon les aborder. Sauf pour le tournage de Tokyo qui s’est produit de façon assez inattendue et qui est en mouvement (une sorte de promenade à travers le temple et le marché attenant), tous ces tournages sont des cadrages fixes.
Ce qui est devenu un principe de tournage, c’est donc d’établir un cadrage fixe et de créer ainsi arbitrairement un univers avec un champ et un hors-champ et de laisser rouler la caméra assez longtemps pour qu’il se passe quelque chose. Dans l’abstrait, à partir du principe que n’importe où, si on attend assez longtemps, il finit par se produire quelque chose, n’importe quel lieu peut faire l’affaire pour mon projet, le cadre de la caméra donnant déjà une structure aux événements. Mais évidemment, en pratique, ce n’est pas si simple, les divers lieux présentent des potentiels différents d’événements qui aient un sens. Ainsi dans le cas de la cours d’école de Buenos Aires, des choses intéressantes s’y produisaient déjà lorsque je l’ai regardé pour la première fois. La circulation des enfants dans le périmètre avait un grand pouvoir d’attraction dynamique et laissaient entrevoir la possibilité de prolongements animés intéressant. C’est ce qui m’a décidé à tourner.
Dans le cas de Prague, ce qui m’a intéressé c’est la présence incongrue d’un bas relief «réaliste socialiste» représentant deux ouvriers au travail, juste à côté de la gare d’autobus, et le fait que les voyageurs passent à peu près sans le regarder devant ce monument d’une époque récente que tout le monde cherche à oublier. Sur le plan symbolique, le bas-relief est devenu une ruine. C’est d’emblée ce télescopage temporel qui m’a attiré, que l’on trouve un peu partout à Prague car ce genre d’art pompeux marque de nombreux édifices des années socialistes. J’ai donc eu l’idée d’aller tourner jusqu’à ce que quelqu’un regarde vraiment les deux ouvriers monumentaux. En arrivant vers 10H:00, un groupe de personne s’est tout de suite attardé devant l’Éuvre, mais je n’avais pas encore établi mon cadre. C’était donc inutilisable et j’ai dû tourner une heure et demi avant que de nouveau quelqu’un regarde vraiment le bas-relief. Et j’ai été bien récompensé de mon attente car il s’agissait d’un homme assez âgé accompagné d’un enfant ce qui soulignait d’autant plus la dimension historique du petit microcosme créé par le cadrage, la relation problématique avec le passé récent s’en trouvait amplifiée. Cela m’a rappelé un peu ce que j’avais fait avec le tournage de la statue de Giordano Bruno sur le Campo dei fiori à Rome, que j’ai traité comme une résurgence fantomatique du passé (lointain dans ce cas) au milieu des activités ordinaires de la vie quotidienne (voir mon film La statue de Giordano Bruno, 2005).
Présentement, j’ai terminé un première phase de composition des images réelles (11 minutes) et j’en suis à décider s’il faut ou pas de l’animation et quelle animation au juste. Dilemne qui me rappelle la dernière phase de la production de Herqueville.