Pierre Hébert, comment avez-vous découvert Herqueville?
La première fois que j’ai entendu parler d’Herqueville, c’est à Bruxelles chez mes amis Michelle Corbisier et Serge Meurant lorsqu’ils m’ont montré les poèmes et les gravures qui avaient été inspirés de photographies prises par Serge au cours d’un voyage de vacances à Herqueville. Ces travaux m’ont vivement intéressé car je songeais alors à une série de films sur des lieux et des paysages à travers le monde avec comme objectif de saisir «l’esprit des lieux» à l’aide d’un mélange d’images réelles et d’animation. Avec l’esprit d’autodérision qui le caractérise, Serge m’a également mentionné que le littoral qu’il avait photographié et qui les avaient inspiré était situé en contrebas d’une usine nucléaire. L’idée qu’un événement poétique avait pris naissance dans un lieu aussi marqué a d’autant avivé mon intérêt. Mais les choses en sont restées là. Une bonne année et demi plus tard, je devais me rendre en Normandie pour assister à un colloque sur Walter Benjamin au Château Cerizy-Lasalle et j’ai décidé de faire un détour par La Hague pour voir Herqueville. J’ai été renversé non seulement par la présence inquiétante de l’usine, qui avait surgi immense dans un virage de la route, et par le caractère farouche et monumental du littoral, mais surtout par la proximité des éléments qui donnaient son caractère troublant à ce paysage. J’avais une caméra mini-DV avec moi et j’ai fait deux ou trois heures de tournage qui allaient me permettre de mettre en scène les poèmes et les gravures de mes amis.
Comment s’est organisée la rencontre avec Michelle Corbisier, Serge Meurant et Fred Frith?
Là aussi ce fut une histoire d’amitié et de circonstances. Avant même de voir les travaux de Serge et Michelle, j’avais fait à San Francisco une performance d’animation en direct avec Fred, qui n’avait rien à voir avec Herqueville. J’étais revenu chez moi avec un enregistrement de la musique qu’il avait improvisé et que j’aimais beaucoup. Avant de commencer le film comme tel, j’ai pensé faire quelques performances d’exploration sur Herqueville dans quelques lieux alternatifs de Montréal et j’ai demandé à Fred l’autorisation d’utiliser cette musique comme soutien sonore pour ces présentations publiques. Le mélange de mouvements contemplatifs et d’impacts dramatiques qui la caractérisait, me semblait particulièrement convenir. À partir de ce moment, il n’a jamais été question d’une autre musique.
Quelles ont été les différentes phases de travail (découpage dans le temps)?
Les choses ne se sont pas du tout passé comme je m’y attendais. Je croyais que j’allais commencer par faire des essais d’interaction entre mes animations et les gravures de Michelle. Mais pour des raisons pratiques, j’ai dû commencer par la musique. La bande que je voulais utiliser était beaucoup trop longue (cinquante minutes) et contenait pas mal de scories, c’est-à-dire des bruits du public, toussotements, arrivée de retardataires, etc.. Il y avait donc un remontage assez délicat à faire pour réduire la durée totale et enlever les bruits parasites sans détruire la texture cyclique de la construction musicale. Les contraintes étaient telles qu’il fallait commencer par là. Et c’est par ce travail sur la musique que la structure formelle du film est apparue. J’ai ensuite entrepris de placer grossièrement dans un ordre approximatif les différentes composantes du film (tournage réel, photographies gravures et poèmes) dans le but de vérifier si la structure musicale convenait, en reportant le travail d’animation à une étape ultérieure. Mais finalement, ce qui devait n’être qu’une tentative exploratoire s’est transformée en un véritable travail de montage et je me suis laissé entraîner à des opérations de composition des gravures avec le tournage réel beaucoup plus élaborées que ce que j’avais d’abord envisagé…et toujours pas d’animation. L’été 2006 y a passé. Au bout de ce travail, je ne savais plus du tout s’il était nécessaire d’ajouter de l’animation. J’ai été paralysé par l’indécision pendant plus de 6 mois pensant que, peut-être, le film était terminé. Pourtant un des objectifs du film était que j’entre en conversation avec les gravures, les poèmes et la musique et, me semblait-il, ce n’est qu’en y mettant ma main que je pouvais y arriver. J’ai finalement décidé de quant même essayer un petit segment pour voir si l’animation pouvait trouver sa place et sa nécessité. Et c’est comme ça que j’ai commencé à intervenir avec du minime et du «presque rien» dans les interstices et les transitions du flot d’images qui était déjà en place. L’idée était de faire affleurer à la visibilité les puissances cachées au sein de ce paysage. Mais, il a fallu faire le travail au complet, jusqu’au dernière seconde du film, pendant tout l’été 2007, avant d’être sûr que la couche d’interventions animées trouvait son mouvement et son sens propre et entrait vraiment en résonance avec les autres éléments.
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