À la suite de mon récent texte sur «l’idée de l’animation», j’ai eu l’idée de faire des performances d’atelier à l’aide d’un dispositif d’animation assez radical qui en fait me ramène à l’origine même de mes performances informatisées, les cycles décalées. L’idée initiale consistait à établir un très petit «buffer» (j’ai essayé 24, 18 et 16 images), suffisamment petit pour que très rapidement il soit rempli d’images et que toutes les captations d’images subséquentes s’enregistrent en effaçant successivement les images inscrites les plus anciennes. Il en résulte que ce petit stock d’images est en constant et rapide renouvellement.
Dans le cas des «cycles décalés» (comme dans mon film O Picasso ‘ tableaux d’une surexposition), la série d’images était faite d’avance et une substitution avait lieu à chaque tour de boucle. Dans ce cas, la vitesse du renouvellement (donc la substitution de la plus ancienne image par la nouvelle) dépens de la vitesse du dessin et de l’effaçage ainsi que du temps consacré à ajuster les paramètres de l’ordinateur. Ces suites d’images sont en effet soumises à des altérations relativement simples (changement de vitesse et de direction des mouvements, permutations, cycles décalés, sauts aléatoires vers d’autres images, zoom in/zoom out, renversement symétrique horizontal ou vertical) et composées en trois couches superposées.
Le but de l’exercice est de voir comment le flux de l’animation, de la succession des dessins faits main, s’articule et réagit à ce réseau d’altérations et de manipulations automatiques. Donc, le point central du travail, là où j’agis vraiment, est le progrès de l’animation au niveau des potentialités pour un court segment d’images en constante mutation d’interagir avec lui-même de façon circulaire, par l’effet de sa simple répétition modulée. Dans le but d’élargir les possibilités de composition, j’ai ajouté après une première tentative un second «buffer» de 350 images, assez long pour contenir toutes les images faites dans un exercice. É chaque nouveau dessin, j’enregistre une image dans chacun des deux «buffers», ce qui me donne en regard de la courte boucle en constant renouvellement, tel que décrite plus haut, une longue boucle cumulative contenant la mémoire de toutes les images faites jusque là, donc de tous les états transitoires de la courte boucle.
Il s’agit vraiment d’exercices d’animation non linéaire dont l’objectif n’est nullement narratif, c’est-à-dire non soumis aux critères et aux exigences d’une histoire à raconter (même au sens le plus large). Le cÉur de l’exercice consiste en la production d’un type d’animation totalement exploratoire et improvisé (sans savoir où l’on va) essentiellement conçue pour entrer en relation avec elle-même, avec sa propre genèse, et se déployer dans un cadre répétitif et transformationnel par le truchement du dispositif formel informatisé décrit plus haut. Il faut accepter d’aller où l’action mène, sans planification contraignante, en étant simplement attentif à l’effet du dispositif formel sur la suite des images et sur le déploiement des potentialités qui y sont incluses. Il s’agit donc d’une expérimentation à la fois de l’animation et du dispositif formel.
Sur une période de huit jours, j’ai fait ainsi six performances d’atelier qui ont toutes été concluantes dans le sens où, d’une part, elles ont toutes été très différentes et, d’autre part, j’arrivais toutes à les visionner avec intérêt. Dans chaque cas, j’ai fait une session en direct d’une durée d’environ quarante minutes que je réduisais ensuite à trente minutes en l’ajustant de façon approximative à une version courte de DJ of the Month que Bob Ostertag avait remixé pour moi (la pièce originale fait quarante minutes) il y a quelques années.
J’ai donc fait six «choses» (je n’ose pas dire «films») dont je ne sais pas trop quoi faire pour l’instant. J’ai tenté de m’en servir comme matière de base pour un film. J’ai essayé de mettre les six versions ensemble côte à côte sur une seul écran large ou de m’en servir par montage et composition pour en faire un objet plus dense et plus organisé. Ça n’a rien donné de bon. Dans un cas la petitesse de chaque élément enpêchait une véritable mise en relation et, dans l’autre, l’intervention apparaissait totalement arbitraire. Dans les deux cas, ça empêchait de suffisamment concentrer l’attention sur ce qu’il y a de minime et de subliminal dans la texture temporelle de ces blocs de durée, là ou se trouve véritablement le travail.
C’est donc plutôt matière à performance ou à installation. C’est moins une chose à regarder comme un film qu’une chose dont il faut faire l’expérience dans la durée. Bien qu’un film soit aussi une chose dont il faille faire l’expérience dans la durée. Mais ici la proposition est assez radicale et me semble déborder de ce qui est admissible dans un «film». Question sur laquelle revenir. En tout cas, pour l’instant toute tentative d’organisation pour en faire un film au sens classique du terme semble vouée à détruire l’expérience qui ne peut être vécu que si le processus suit son cours sans intervention majeure. La réduction de quarante à trente minute semble, pour l’instant, le maximum d’intervention possible.
Voir aussi le texte sur l ‘animation et l’improvisation.