Cinéma d’animation et improvisation

Communication présenté par Pierre Hébert au colloque L’improvisation, ordres et désordres

Université de Paris 7, 21-22 janvier 2009

J’aurais voulu être musicien. Mais, il s’est trouvé que je n’avais pas de talent pour la musique. Je suis devenu cinéaste d’animation. Il se peut que mon intérêt pour l’improvisation vienne de cette vieille nostalgie et qu’au fond je voulais tout simplement faire comme un musicien. Je me suis donc livré régulièrement, plusieurs centaines de fois, à des spectacles de «cinéma d’animation improvisé» en commençant le 18 septembre 1986, à l’occasion de la pièce pour grand ensemble de Jean Derome, Confiture de Gagaku, jusqu’à aujourd’hui. J’ai travaillé surtout avec des musiciens, mais aussi avec des danseurs et des écrivains. De 1986 à 2001, il s’agissait de performances d’animation gravée sur pellicule en direct. À partir de 2001, dans le cadre d’une collaboration suivie avec le compositeur Bob Ostertag dans le projet Living Cinema, il s’agissait toujours d’animation en direct mais avec des ordinateurs.

Vouloir faire comme un musicien, c’est vite dit, mais ce n’est pas si simple. L’improvisation va de soi pour la musique, le théâtre et la danse, mais pose toute une série de problèmes quand il s’agit d’animation. En fait, cela contredit sur tous les points la façon habituelle de travailler des animateurs. L’animation se fait normalement avec lenteur, dans la tranquillité d’un studio, en retrait des représentations publiques. C’est un travail qui est caractérisé par la patience, le lent polissage, la recherche de la perfection du mouvement. Les décisions et les gestes spontanés et impulsifs n’y ont que peu de place. En général, on travaille diligemment à partir d’un «storyboard» réglé d’avance.

Pourquoi ai-je donc été tenté par cette aventure qui pouvait sembler incongrue? En fait, l’improvisation ne pouvait être possible que si elle s’appuyait sur une conception totalement différente de l’animation. La question initiale n’était pas la décision de monter sur scène mais de satisfaire à des conditions préalables. Ainsi, j’ai commencé bien avant mes premières performances publiques à m’intéresser, dans le cadre de mon travail d’animateur, à quelque chose comme l’improvisation.

Mon premier souvenir date de 1974 lors du tournage de mon film Père Noël Père Noël ! Il s’agissait d’un film animé avec la technique des papiers découpés. Jour après jour, je passais de longues heures à bouger image par image les pantins en papiers sous la caméra. À un certain point de ce travail, je me suis mis à avoir l’étrange impression que chaque plan était comme une représentation théâtrale à l’intention de la caméra, que je devais «performer» quelque chose pour la caméra qui occupait ainsi la place d’un spectateur. La vitesse et le rythme de mon travail se sont mis à prendre de l’importance comme si mes propres gestes en train d’animer devenaient une sorte de danse et avaient autant d’importance que les images qui s’enregistraient sur la pellicule. Cela a tout de suite entraîné une première transformation majeure de mon style de travail. Il m’est devenu impossible de recommencer un plan dont je n’étais pas satisfait, pour le corriger ou l’améliorer. Je devais l’accepter tel quel ou bien refaire quelque chose de différent. Chaque plan devait être une entité vivante, unique et spontanée.

J’ai également pris conscience d’un aspect qui allait s’avérer fondamental pour la suite : voir l’acte d’animer comme un défi corporel face à l’appareillage technique du cinéma qui s’impose d’emblée comme puissance extérieure autonome. Je me suis alors questionné sur le lien entre l’énergie corporelle que je déployais en animant et le mouvement visible sur l’écran. Y avait-il entre les deux une connexion possible autre que celle du calcul ? Il me faudra d’autres conditions, un cadre technique différent, pour que je puisse mener ce questionnement jusqu’à ses dernières conséquences, jusqu’à effectivement monter sur scène pour faire de l’animation improvisée en public.

Avant de continuer, je dois faire quelques remarques au sujet de la singularité de l’animation en rapport avec le passage du temps. En animation, et à vrai dire en cinéma sous toutes ses formes, le flux temporel qui se présente comme un continu sur l’écran est en réalité sous-tendu par une parcellisation de la continuité en une série d’images fixes successives qui ne prennent l’apparence d’un temps continu que par le truchement du projecteur. C’est précisément dans cet intervalle de discontinu qu’agit l’animation, entre le continu de l’action physique de l’animateur et le continu apparent de la projection. Une conséquence directe de ce dispositif technique imparable est que l’animateur ne travaille jamais directement sur de la durée, contrairement au musicien, au danseur et à l’acteur. Il travaille de l’extérieur, image par image, sur des parcelles d’immobilité. Il s’agit donc d’un processus scindé et d’une temporalité scindée. Il y a un hiatus entre le travail effectif et la présentation publique. Toute tentative d’animation improvisée bute sur cette faille et, pour réussir, sera nécessairement un travail de ce point aveugle.

C’est la technique de gravure sur pellicule qui m’a permis de trouver une ouverture dans ce qui à priori semblait impénétrable. D’abord, la gravure sur pellicule occupe une place complètement atypique dans le tableau d’ensemble des techniques d’animation et de la technologie cinématographique. C’est une technique délinquante fondée sur un détournement des éléments matériels du cinéma. Du fait même de «rayer» la pellicule, elle prend le contre-pied de la technique légitime. En outre, elle est complètement en retrait par rapport au progrès technologique. Pour qu’elle soit possible, il suffit que matériellement de la pellicule existe, qu’indépendamment de l’évolution de la technologie, de la pellicule continue d’exister.

Ensuite, la gravure sur pellicule calibre différemment le rapport entre le corps et la technique à cause de la précarité générale de son cadre de travail : extrême petitesse de l’image, résistance de la couche d’émulsion à l’action des outils, inévitable imprécision du positionnement des traits d’une image à l’autre, etc. Et finalement, grâce à l’accès direct et nécessaire à la bande de film elle-même, la gravure sur pellicule calibre différemment toute la question de la discontinuité image par image inhérente au cinéma à cause de l’accès direct et nécessaire à la bande de film elle-même. L’animateur a directement sous les yeux la succession des photogrammes.

Ces caractéristiques ouvrent naturellement une possibilité d’improvisation au niveau même du travail d’atelier. Du fait qu’elle s’exerce directement sur son support natif, l’animation peut progresser librement sans contraintes de temps, de planification et de respect d’un «storyboard» établi d’avance. À partir de là, il m’a fallu chercher un style qui soit propre à la gravure sur pellicule sous tous ses aspects, ce qui, au bout du compte, m’a finalement entraîné à faire de l’improvisation en performance.

Ainsi, de l’intérieur même de mon travail, les choses étaient mûres pour que je puisse faire le saut. Une rencontre providentielle avec quelques musiciens improvisateurs de Montréal a fait le reste. J’ai travaillé pour la première fois avec René Lussier, Robert Marcel Lepage et Jean Derome à l’occasion de mon film Étienne et Sara, en 1983. Ce film a été important à double titre. Premièrement, c’est en animant la séquence de la naissance de Sara que je me suis rendu compte d’un problème fondamental dans ma pratique de la gravure sur pellicule. Je ne pouvais simplement continuer à développer mon habileté avec cette technique dans le sens de la précision et de la perfection d’exécution sans, du même coup, annihiler, tant sur le plan du graphisme que sur le plan de la continuité, le caractère brut qui m’avait initialement attiré. Quelque chose devait se casser dans mon approche. La gravure sur pellicule en direct sera, au bout du compte, la réponse que j’apporterai à ce problême.

Deuxièmement, l’enregistrement de la musique de ce film a été l’occasion de suivre de très près le travail des musiciens qui improvisaient non seulement avec leurs instruments mais aussi avec les ressources, assez nouvelles dans ces années, du studio d’enregistrement multipiste. En rupture avec la tradition d’animation expérimentale dont j’étais issu où la tendance principale était à l’interprétation visuelle de la musique, la piste qui se présentait à moi était plutôt de chercher à m’approprier, dans le contexte de l’animation, de «la manière de travailler» de ces musiciens improvisateurs. Il ne s’agissait donc plus tant d’interpréter littéralement la musique que de chercher à atteindre un rapport au deuxième degré, plus au niveau des processus qu’au niveau d’un lien formel de synchronisme entre les images animées et la musique. Ensemble, nous avons fait une première série de spectacles qui consistaient à accompagner des films déjà faits avec de la musique «live.» Je n’y faisais pas encore d’animation en direct, mais cela m’a forcé à produire très rapidement de nombreux segments de films pour alimenter le spectacle. C’était un pas de plus.

L’incitation à oser me placer sur le même pied que mes amis musiciens était alors très forte mais encore fallait-il trouver la façon. Il y avait toujours l’option de suivre la voie des «light shows» psychédéliques qui avaient été populaires dans les années soixante, mais ça ne m’intéressait pas de simplement faire des effets de lumières immersifs. Je rêvais d’un dispositif qui permette de vraiment faire de l’animation en direct, quelque chose qui ait une forme. J’ai brièvement considéré d’utiliser les ordinateurs, mais ceux qui étaient disponibles à l’époque n’avaient pas une puissance suffisante et auraient de toute façon été trop encombrants et trop onéreux.

Un jour, comme ça, j’ai spontanément eu la vision d’un dispositif de gravure sur pellicule en direct: un projecteur 16 mm dans lequel serait insérée une boucle d’amorce noire assez longue (il s’avéra que 40/45 secondes était la bonne longueur) pour qu’une bonne partie du film soit temporairement hors du projecteur. Le projecteur serait constamment en marche. À côté, il y aurait une table lumineuse sur laquelle graver la pellicule. L’idée était donc de saisir la partie de la boucle de film libre des engrenages du projecteur et de graver quelques images jusqu’à ce que le mécanisme du projecteur tire sur le film, pour continuer sur une autre partie de la boucle en ajoutant ainsi, cumulativement, des images un peu partout jusqu’à ce que la boucle soit pleine.

Les caractéristiques de cette façon de faire sont les suivantes :

– Il s’agit d’une boucle d’une longueur fixe et la périodicité du retour des mêmes images est imperturbable.

– Il y a un décalage variable et imprévisible entre le moment où une image est dessinée et le moment où elle est effectivement projetée.

– En conséquence, il y a un rapport incessamment mobile entre, d’une part, le travail de dessin et, d’autre part, la projection des images et la musique en train de se faire. Il s’agit en fait d’une conséquence extrême de ce que j’ai expliqué plus haut, à savoir que l’animateur ne travaille jamais directement dans la durée. Il s’en suit que la synchronisation stricte entre la musique et l’animation est impossible. Il ne reste qu’un rapport plus impalpable, plus flou qui ne peut s’appuyer que sur un intense lien focal entre l’animateur et le musicien.

– À cause de cela, j’ai rapidement compris qu’il était préférable de travailler en duo avec un seul musicien. S’il y a plusieurs musiciens, ils doivent d’abord jouer entre eux et il ne reste plus beaucoup d’espace mental à accorder au type de focalisation dont je viens de parler.

– Avec ce système, il est impossible de dessiner les images en continuité dans leur suite linéaire et chronologique. Au contraire, rapidement de petits blocs d’images s’éparpillaient sur l’ensemble de la boucle, au hasard des segments qui se présentaient à moi. La jonction éventuelle entre ces divers fragments était donc totalement du domaine de l’inattendu. Un autre décalage s’installait ainsi entre le travail d’animation et le flux temporel de la projection.

Après avoir mis mon dispositif au point, je me suis réjoui de la possibilité de faire comme un musicien, de pouvoir prendre mon «instrument» à pied levé pour aller faire un «gig». Mais j’ai vite compris qu’il y avait des différences infranchissables entre ce que j’essayais de réaliser et ce que les musiciens accomplissaient. Il y avait, en premier lieu, cette posture inverse en regard du flot temporel. Je l’ai déjà mentionné, le musicien est d’emblée à l’intérieur même du temps, alors que, pour ma part, je restais tout de même à l’extérieur, coupé par ces nombreux décalages, même avec cet effort extrême de faire le saut.

Il y avait aussi le problême du retour imperturbable de la boucle. J’ai fait évoluer mon dispositif pour essayer d’infléchir cette rigidité. Ainsi, j’ai ajouté devant la lentille du projecteur un obturateur actionné par une pédale de grosse caisse, ce qui faisait encore plus «instrument de musique» et qui, surtout, permettait, sans éteindre le projecteur, de ne montrer qu’une partie de la boucle ou encore de bloquer la projection de façon rythmique de sorte à créer une certaine mesure de synchronisme avec la musique. J’ai parfois inséré, en cours de performance, des segments pré-animés dans la boucle pour soudainement introduire de nouveaux éléments déjà élaborés et du même coup varier la longueur du cycle. J’ai utilisé un deuxième projecteur pour montrer simultanément d’autres images, par exemple des boucles créées dans des performances antérieures. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai initialement construit la matière de mon long-métrage La Plante humaine. Mais j’ai eu beau faire, j’étais lié par le retour mécanique de la boucle. C’était à la fois la base et la limite de ce travail.

À cet égard, la rencontre avec le compositeur Bob Ostertag en 1989 a été décisive à plus d’un titre. Sa musique d’échantillonneur était essentiellement constituée de manipulations complexes de boucles sonores, en général à partir de sources très réduites, ce qui correspondait d’assez près exactement aux conditions de mon propre travail. Il en est résulté une sorte de sublimation de la forme cyclique qui a cessé d’être uniquement une contrainte du dispositif technique pour entrer en résonance avec une construction similaire sur le plan musical. Réciproquement, chacun trouvait chez l’autre une véritable réponse formelle qui, pour émerger, n’avait nullement besoin de synchronisme. Donc, à plusieurs titres, il y avait là pour moi une libération et l’ouverture d’un espace qui allait permettre la poursuite de ce travail qui, sinon, m’apparaissait souvent se perdre dans un cul-de-sac. Il n’est donc pas étonnant que le travail avec Bob Ostertag ait eu des suites. De 1989 à 2000, nous avons régulièrement fait des projets ensemble, constatant chaque fois la même aisance et la même attraction formelle entre nos matières visuelles et musicales.

À la fin de 1999, j’ai quitté l’Office national du film du Canada (ONF) où j’avais travaillé pendant 34 ans. Je quittais ainsi le monde du cinéma au sens classique du terme et devenais tout à coup complètement disponible à ce qui jusque-là avait été une activité régulière mais marginale par rapport à la réalisation de films. Au moment même où les bases techniques du «cinéma classique» vacillaient, c’est toute la «terra incognita» du «cinéma au-delà du cinéma» qui s’ouvrait ainsi devant moi. Une des circonstances qui avait favorisé mon départ de l’ONF avait été l’apparition sur le marché d’ordinateurs personnels beaucoup plus puissants (plus précisément les Apple G-4), ce qui rendait possible la continuité de mon travail sans que j’aie besoin des ressources d’une grande institution. C’est la même raison qui a rendu possible la poursuite de mon aventure d’animation improvisée avec le support d’un ordinateur. Tout comme je m’étais procuré, dès sa sortie, le premier modèle des G-4 à l’automne 99, j’ai acheté, dès sa sortie également, le premier modèle G-4 portable au printemps 2001. Entre temps, Bob avait programmé pour moi une première version de mon logiciel de traitement vidéo en utilisant le langage de programmation graphique Max et les tout premiers objets Jitter, qui eux n’étaient pas encore sur le marché.

Ceci a sonné le départ d’une toute nouvelle phase dans la pratique de l’animation en direct improvisée. Certains éléments de base sont restés les mêmes. D’abord, le travail avec les boucles. Cela a continué d’être le ciment formel entre la musique de Bob Ostertag et mes animations. En outre, ma pratique de l’improvisation continuait d’être organisée autour de l’exigence de produire les images en cours de spectacle. Je n’avais que peu d’intérêt pour l’improvisation par simple manipulation vidéo par ordinateur à partir de stock d’images existantes. C’est ce qui singularise mon travail par rapport à la plupart des autres projets de cinéma en direct. Ceci continuait d’impliquer l’obligation de dessiner très vite et d’imaginer des manipulations vidéo auxquelles un stock d’images très réduit pouvait suffire. D’où l’inévitabilité du travail avec les boucles. À l’inverse de la gravure sur pellicule en direct, où la boucle constituait le coeur même du dispositif, la structure cyclique cessait désormais d’être une contrainte mécanique inéluctable. Mais dans la mesure où ce qui m’intéressait précisément, c’était d’improviser avec l’animation et non avec des images en général, le travail avec les boucles restait tout de mëme le territoire principal où cela devait se passer.

Parmi d’autres conséquences, il y a eu l’abandon de la gravure sur pellicule qui avait été le cœur de mon travail depuis une quinzaine d’années. Autant, cela avait été la seule manière de faire de l’animation en direct, autant avec l’ordinateur, la gravure sur pellicule devenait presque impossible à cause de l’obstacle technique de la numérisation rapide des images gravées sur film. Il m’a fallu de nombreuses années avant de trouver un nouveau medium avec lequel j’arriverais à entretenir la même intimité. En contrepartie, la manipulation vidéo par ordinateur entraînait un élargissement radical des ressources stylistiques disponibles : abolition de la rigidité mécanique d’une unique boucle, possibilité de varier la longueur des boucles, de modifier l’ordre des images dans la boucle, de travailler avec plusieurs boucles segmentées, de jouer sur plusieurs couches d’images, et d’agir sur les couleurs et sur l’échelle. Il y avait en outre une plus grande flexibilité pour insérer du matériel d’appoint préexistant.

Il a fallu de nombreuses années pour arriver à stabiliser mon dispositif. J’ai dû d’abord accepter de suivre l’évolution de Max et de Jitter qui ont subi plusieurs mutations (passage de OS9 à OS X, programmation en Open GL pour reporter les traitements d’images du processeur à la carte graphique). Chacun de ces passages a nécessité des phases de programmation majeures, mais cette évolution, à laquelle s’ajoutait l’augmentation de la puissance des ordinateurs, a permis de stabiliser le flux des images et d’améliorer la résolution. Il a parallèlement fallu ensuite que je développe ma capacité mentale à mener simultanément deux processus radicalement inverses, c’est-à-dire, d’une part, dessiner sans cesse et le plus vite possible les images successives de l’animation et, d’autre part, assurer la manipulation numérique de ces images. La lente acquisition de cette agilité mentale a permis la mise au point et la stabilisation d’une architecture du logiciel qui permette, à partir du stock réduit d’images que je peux produire dans le cours d’une performance, des possibilités inépuisables de montage en direct, en succession et en superposition (en l’occurence, trois couches superposées).

Pour l’instant, mon logiciel n’a plus besoin de changer. Depuis deux ans, il est resté stable sauf des améliorations au niveau des interfaces de contrôle. J’ai décidé récemment de ne pas le faire migrer vers Max 5. Il n’est pas sûr que cela va durer car le «progrès technologique» nous tire toujours le tapis sous les pieds, c’est sa nature. Mais pour l’instant, il y a une éclaircie. Sur fond de développement de mon habileté à dessiner rapidement et à contrôler simultanément les traitements vidéo, c’est l’approfondissement des rapports entre ce singulier processus d’animation et un large éventail de possibilités de manipulations numériques qui occupe maintenant le centre de mon travail. Le problème n’est plus d’ouvrir et de consolider toujours plus de possibilités techniques. Le fardeau de la preuve est de mon côté. C’est un problème de relation, une question de conceptualisation et d’invention continue d’un type d’animation qui convienne à ce contexte (ce qui n’a plus rien à voir avec l’animation narrative linéaire) et de l’entraînement corporel et mental que cela impose. Il y a possibilité de virtuosité, possibilité provisoire et nécessaire d’un espace d’improvisation porté vers un équilibre fluide entre certaines données corporelles, techniques et historiques. Rien à voir avec l’exhibitionnisme combinatoire des merveilleuses et toujours nouvelles possibilités de la technologie numérique. Il y a nécessité d’improvisation parce qu’il y a à inventer du côté de mon cerveau et de mes deux mains. C’est une question de survie et peut-être aussi une question d’âge que de vouloir ainsi mettre les choses à l’arrêt et maintenir pour un temps cet espace de création qui, malgré tout, reste tendu entre la corporéité et la puissance étrangère du dispositif. Cela n’a plus beaucoup à voir non plus avec la nostalgie de la musique. Ma posture de retrait par rapport au flux temporel persiste inentamée, inentamable. Mais je dois beaucoup à mes amis musiciens.

(22 janvier – 22 juillet 2009)

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