Rencontre d’artistes – monsieur Duong Yen
J’en arrive aux images qui attendent autour de moi. Je ne crois pas que je puisse désigner ce que je vais montrer comme un tournage Lieux et monuments même s’il fut réalisé au cours de la grande expédition asiatique «Lieux et monuments» de 2013 où Bob Ostertag et moi-même avons parcouru pendant sept semaines la Chine continentale, Taiwan, Hong Kong, Hanoi, Tchiang Mai et Bangkok, alternant tournages et performances. Un jour, nous nous sommes offert une expédition guidée à bicyclette dans les rizières de la proche campagne autour de Hanoi. Les rapports avec notre guide sont rapidement devenus amicaux et notre promenade a dévié du circuit convenu. La chaleur en rase campagne était accablante et nous nous sommes arrêtés pour une bière dans une buvette déglinguée, le long de la route. Il s’est trouvé que c’était le lieu de rendrez-vous d’un groupe d’anciens de la guerre du Vietnam. Un d’entre eux s’est approché de notre table et a demandé courtoisement qui nous étions. C’était une chose assez étrange que d’avoir à se déclarer musicien, performeurs et cinéaste dans un tel contexte, dans ce lieu semblant appartenir à un autre monde, face à cet homme aux antipodes de tout ce qui fait notre vie. Monsieur Duong Yen, car c’était lui, s’est identifié comme ayant été «poète» dans l’armée de libération nationale ajoutant qu’il souhaitait nous réciter ses poèmes et chanter ses chansons. Il a commencé par un poème à la gloire de Ho Chi Min. Loan, notre guide, traduisait tout à notre intention. J’ai demandé si je pouvais tourner (je n’avais avec moi qu’un petit appareil photo Canon). Il a accepté et, avec une ferveur accrue, il a entonné a capella une chanson en mémoire des femmes mortes sous les bombes sur la piste Hi Chi Min en transportant du matériel à bicyclette pour ravitailler le Vietcong. À la fin de la chanson, il a pris congé de nous, toujours aussi courtoisement, et s’est éloigné tranquillement en pleurant. Nous avons compris que c’était pour lui une grande émotion que d’avoir pu chanter ses chansons devant un Américain. On ne peut exagérer la fierté que les Vietnamiens éprouvent toujours d’avoir vaincu l’armée la plus puissante du monde. Je ne sais pas ce que je ferai de ce tournage tant il échappe à mes critères habituels.