J’ai beaucoup réfléchi ces derniers jours sur le lien à faire entre mon travail de performance et mon travail d’installation. C’était en fait le sujet de la conférence donnée au Forum des Images à Paris au début mars à l’occasion de la présentation de «Berlin – Le passage du temps» mais j’étais resté insatisfait de ma prestation. Je ne crois pas avoir bien faire ressortir ce qui me préoccupait. J’ai peut-être été un peu limité par la volonté de tout organiser autour de la notion d’«expression instrumentale» prélevée chez André Martin et de donner un tour trop théorique à ma conférence. Ce qui ressort quand je reviens la dessus ces jours-ci a plus à voir avec la forme d’expérience du temps qui est proposée dans les deux cas. Cela peut s’exprimer ainsi : l’expérience d’un temps infini dans le cadre d’une durée limitée. Certes, la problématique de «l’expression instrumentale» se pose également dans la mesure où c’est par l’élaboration d’un dispositif technique que la proposition temporelle prend forme, mais celle-ci est le véritable cœur de ce travail.
Pour simplifier, on peut dire que dans le cas des performances, cet énoncé concerne d’abord ma propre posture de performeur, dans le cas de l’installation, elle qualifie plutôt la proposition faite au visiteur. Au cours de la série d’exercices d’atelier que j’ai faites au printemps 2009 sous le titre d’Exercices d’animation et dont a résulté quelques performances publiques ainsi que le film Triptyque, j’ai développé une petite machine formelle qui, se basant sur une boucle très courte (par exemple, une boucle de 18 images), à chaque ajout d’une nouvelle image, retire la plus ancienne. Il en résulte un petit stock d’images en constant renouvellement. Le résultat projeté consiste donc en une combinatoire de ce groupe restreint d’images, réparties sur trois niveaux avec des variations de vitesse et de direction. J’ai rapidement constaté que ce dispositif plaçait mon travail d’animation dans une position tout à fait singulière. L’ajout d’une nouvelle image, plutôt que d’être une étape de plus dans un mouvement allant d’un point a à un point b comme en animation conventionnelle, consiste en une action non directionnelle ayant pour seul effet de modifier la combinatoire déjà en cours, avec comme résultat une dérive combinatoire potentiellement infinie sans véritable début ni véritable fin, arbitrairement interrompue par la durée prédéterminée de l’exercice. Développée et complexifiée, cette petite machine formelle est aujourd’hui toujours à la base de mes performances et elle a peu à peu influé également sur mon travail d’atelier. De plus en plus j’anime des choses qui ne sont pas faites pour être vue dans l’ordre de la succession littérale des images. Et à chaque performance, j’ai le sentiment de franchir un seuil et de pénétrer dans un espace infini contenu dans la durée inévitablement limitée par les contingences. C’est une sensation très forte.
Il se trouve que c’est une expérience similaire qui est proposée au visiteur de mon installation vidéo «Berlin – Le passage du temps». Dans le temps plus ou moins long d’une visite, le regardeur se trouve devant un déroulement qui, à cause du décalage de durée entre les quatre boucles, n’a lui non plus ni début véritable, ni fin véritable. Il aura beau rester le plus longtemps possible devant les quatre écrans, il aura raté un début inexistant et n’arrivera jamais à une fin. Face à la texture infinie des recoupements et des chocs entre les quatre boucles, quelque soit la durée de la visite, aussi courte ou aussi longue soit-elle, le visiteur aura donc fait une expérience d’un temps infini contenu dans une durée limitée. Aujourd’hui c’est ce paradoxe temporel qui m’intéresse, reflet de la vie mortelle des humains.