Il n’y a qu’une seule réponse à toutes vos questions au sujet de mon film Variations sur deux photographies de Tina Modotti et elle se trouve dans l’examen du processus assez singulier qui lui a «finalement»donné naissance. J’écris finalement parce que tout cela a pris plusieurs années et parce que le but initial n’était pas de faire un film. Le film est un «résultat» qui trouve sa nécessité dans tout ce qui a précédé et non dans une série de décision de réalisation que j’aurais prises pour elles-même.
Au point de départ, il y a eu une invitation de Louise Bédard, qui est une amie de longue date avec qui j’ai collaboré à plusieurs reprises par le passé. Il s’agissait donc d’élaborer un «film scénographique» (l’expression est de moi, cela veut dire que le seul élément de décors serait le film projeté sur le fond de scène) pour une œuvre chorégraphique inspirée de la vie et de l’œuvre de la photographe Tina Modotti. Cela s’inscrivait pour Louise dans un projet plus vaste sur des femmes artistes du début du vingtième siècle. C’est donc ainsi que j’ai croisé Tina Modotti que je ne connaissais pas auparavant.
La pièce chorégraphique n’existait pas encore sinon sous forme de quelques ébauches sans continuité. Louise souhaitait que le cinéaste, moi-même, et la conceptrice d’éclairage accompagnions le processus d’élaboration chorégraphique depuis le début et, qu’en conséquence, nous acceptions de nous plonger dans l’univers de Tina Modotti. Au cours des trois années qu’a duré la production, il y a eu trois résidences de deux semaines dans différents théâtres, dont une au Mexique à Hermosillo. Ce furent trois périodes de travail intense qui, chaque fois, étaient clôturées par une présentation publique de la pièce à l’état de work in progress. L’essentiel de la matière première cinématographique a été fait au cours de ces courtes périodes. Je m’installais avec mon matériel de gravure sur pellicule dans le théâtre juste à côté de la scène où les deux danseuses improvisaient, mettaient au point et répétaient les différents segments dont la pièce allait éventuellement être constituée. Mon travail était librement inspiré par ces explorations chorégraphiques, parfois par des éléments spécifiques de la danse, parfois par le simple fait de travailler en même temps en dans le même lieu que les danseuses.
Au point de départ, il n’y avait aucune consigne précise de Louise ni aucun effort de ma part de m’ajuster précisément à la danse, ce qui aurait été impossible car elle n’avait pas encore trouvé sa forme définitive. Ce qui était important pour moi, ce que j’ai vécu comme un privilège, c’est que les mouvements animés naissent à la même source et dans le même flot que les mouvements dansés à un moment où tout était encore dans l’indistinction. Je crois qu’à cause de cette mise en situation très particulière et exceptionnelle, mes images animées étaient chargées à la fois de la fréquentation assidue de l’Éuvre de Tina Modotti, du rapport d’intimité avec le développement de la danse, évidemment de ma propre énergie qui pouvait s’exprimer avec une certaine autonomie, et finalement, sur un plan plus personnel, du cours de la vie au sein de la petite bulle humaine que nous avons formé au cours de cette période.
Peu à peu, l’Éuvre a pris forme, particulièrement au moment des présentations publiques à la fin des résidences. Nécessairement, nous devions faire l’effort de donner une forme à l’ensemble de la matière même si cela allait n’être que provisoire. Donc, à ces occasions, il y avait des décisions d’ajustement à la danse plus volontaires. É un certain point, j’ai constaté qu’en gros, mes images se situaient dans une polarité entre deux photographies bien précises de Tina Modotti (les roses et les poteaux télégraphiques) qui pouvaient plus ou moins être assimilées respectivement aux éléments féminins et masculins. Cela me semblait avoir un sens car, pour la plus grande partie du projet, j’étais le seul homme au sein d’une équipe créative féminine. Donc, concernant ces deux photographies, ma seule décision fut d’accepter qu’il en était ainsi.
Dans la phase initiale du projet, le travail se faisait en silence, sans musique. Puis il y a eu toutes sortes de musiques, constamment différentes. C’est ainsi qu’à une répétition Louise a apporté la musique du cérémonial Huichol qui est devenue rapidement une musique préférée. La musique de la compositrice mexicaine Ana Lara est arrivée très tardivement, moins d’un mois avant la première de la pièce, et comme plusieurs ajustements devaient être faits, d’où l’intervention de Michel F. Coté dans le processus (c’est ainsi que le rituel Huichol a trouvé sa place), ce n’est qu’au cours de la dernière semaine que j’ai réellement travaillé avec la musique. É ce point, presque tous les éléments visuels étaient déjà placés en fonction de la danse. Au cours de cette dernière semaine, j’assistais aux répétitions l’après-midi, puis je rentrais chez moi devant mon ordinateur pour retoucher le montage en fonction de la danse et de la musique et je revenais le lendemain pour la nouvelle répétition avec une nouvelle version des films sur DVD. Ainsi jour après jour. C’est de cette façon un peu acrobatique que s’est faite la jonction avec la musique. J’ai pu approfondir cet aspect au moment de faire la version film.
La vidéo qui accompagnait la danse faisait 1H15min. Il est sûr que sans la danse, ça ne pouvait pas être aussi long d’autant que certaines parties étaient très minimales de sorte à laisser la part principale aux danseuses. J’ai fait le film parce que je croyais qu’au cours de ce long processus, ces images avaient accumulé une énorme charge humaine et artistique que je ne voulais pas laisser s’évanouir dans le caractère éphémère du spectacle vivant. Mais il était clair que toutes les composantes existaient déjà et qu’il n’y avait pas de retour possible à ce sujet sinon un travail de sélection, d’ajustement et de densification de la matière cinématographique pour tenir compte de l’absence de la partie dansée. Ainsi les éléments qui constituent le film n’ont pas fait l’objet de décision de réalisation quant à leur nature intrinsèque, cela avait été fixé par trois années de travail collectif. Je n’ai donc pas fait de changements à la musique et je n’ai fait aucune nouvelle animation. J’ai composé à partir de ce qui était déjà là me disant que le processus avait eu sa propre cohérence.