Je ne sais pas si un jour je me déciderai de faire un film dans lequel il n’y ait pas au moins quelques petites interventions animées sur les images de prise de vues réelles, mais dans le cas de Praha-Florenc, je n’ai pas pu résister. J’imagine qu’à un certain niveau c’est pour moi une question d’identité. Ce qui ne veut pas dire que Praha-Florenc se qualifiera comme «film d’animation» dans les festivals spécialisés. Rien de moins sûr.
Les interventions sont assez circonscrites à certaines sections bien précises du film mais elles jouent un rôle assez important au moment du climax du film en ce sens qu’elles ont permis de faire émerger «le sens» du film de façon un peu plus nette. Pour la première fois, j’ai travaillé de façon complètement numérique en utilisant une tablette Cintiq qui m’a permis de contourner la difficulté que j’avais à dessiner sans voir le dessin en cours et ma main du même regard. Devoir regarder le dessin sur l’écran d’ordinateur sans voir ma main (comme cela se produit avec une tablette Wacom normale) brisais ma coordination et me mettais dans une situation que je trouvais trop abstraite. L’expérience a été concluante et je vais poursuivre un nouveau travail avec les mêmes outils.
Tout en faisant les interventions animées, j’ai réduit la longueur du film à 10 minutes exactement et j’arrive à m’y tenir. L’animation permet d’indiquer beaucoup plus rapidement dans le film que «l’action» va se produire essentiellement à l’intérieur du bas-relief «réaliste socialiste», ce qui laisse l’impression d’un film encore plus court. Ce weekend, j’ai donc décrété que l’image était terminée et, hier, le film est passé à une nouvelle étape. Je suis allé porter tous les éléments à Claude Beaugrand pour finaliser le montage sonore.
J’avais déjà fait un bon bout de travail sur le son. En effet, je n’arrive pas à travailler sur une seule dimension du film à la fois. Dès le début, je sens la nécessité de mettre du son, de la musique, et même de mettre un générique de début et de fin, de sorte que, tout de suite, il y ait une forme globale qui émerge. Mais l’intervention de Claude me semble toujours indispensable. C’est évident d’un point de vue de raffinement technique mais il y a plus. Encore une fois, le travail sur le son avec Claude (enfin ce que nous avons pu accomplir en une demi journée, et ce n’est pas fini) a permis de faire émerger le sens sur une base concrète et matérielle (par opposition à «conceptuelle»), de révéler ce qui d’une certaine façon était déjà là mais pas d’une façon suffisamment perceptible. Le film continue d’être un objet étrange dont on ne saura jamais très bien ce qu’il veut dire (ça, j’aime ça), mais, d’abord avec les interventions animés, puis avec le son, il y a un focus beaucoup plus net et tranché qui se dessine au coeur de la matière et qui guide le spectateur.
C’est assez intéressant de noter que la très grande majorité des sons sont «hors-champs», il n’y a que quelques éléments synchrones qui percent discrètement ici et là. Il y a les constructions sonores qui soutiennent les interventions animées et qui sont synchrones, mais d’emblée, et à ce titre, elle se situent dans un autre espace, plus complexe et d’une autre nature. Je trouve intéressant de constater à quel point le son permet la construction d’un sens complexe de l’espace. É cet égard, les films sans construction sonore autonome (disons cela comme ça) restent à mon sens un peu plats et claustrophobes.