Scratch, phase finale

Scratch (phase finale)

Ce texte est adapté de la demande de financement du projet Scratch-3 au Conseil des arts du Canada, financement qui fut accordé en novembre 2017.

Il s’agit d’un projet de film abstrait de dix minutes, gravé sur pellicule, dont le processus d’élaboration et de production, très peu conventionnel, a donné lieu à un long travail étalé sur plus d’une année. Avant de fournir des précisions à ce sujet, je vais d’abord situer ce projet dans une perspective plus large.

 

La gravure sur pellicule, une technique d’animation extrême et marginale inventée par Len Lye et Norman McLaren, a été au centre de mon travail entre 1962 et 2001. Cette technique a donné lieu à un constant effort d’expérimentation qui m’a mené à entreprendre, à partir de 1985, des performances de gravure sur pellicule en direct. En 2001, dans la foulée de l’informatisation de ma pratique de performance, je l’ai progressivement délaissée. Cet abandon m’a longtemps semblé définitif, mais à l’occasion de la performance hommage à Blinkity Blank, présentée lors du centenaire de Norman McLaren en 2014, j’ai été amené à réintroduire peu à peu des éléments gravés sur pellicule en direct dans le cadre de mon dispositif numérique de performance.

 

Le 27 novembre 2015, la présentation de Balade sur Blinkity Blank à la Cinémathèque québécoise fut un véritable point tournant, une sorte de chemin de Damas où la décision de me remettre à la gravure sur pellicule s’est imposée à moi. Il était cependant hors de question de simplement reprendre les choses telles que je les avais interrompues en 2001, d’où la nécessité d’un processus ordonné de réapropriation progressive de cette technique, qui allait se déployer dans des expérimentations ouvrant vers de nouvelles avenues. Un moment important de cette recherche fut un relevé image par image du célèbre film Blinkity Blank de Norman McLaren que j’ai fait en 2014 pour préparer la performance, donnant lieu à une étude détaillée des réseaux d’intermittences d’images qui structurent ce film. J’y ai trouvé une organisation plus complexe et plus subtile que ce que j’avais imaginé, que j’ai nommé «polyphonie de clignotement» et qui m’a semblé pouvoir être la base d’une approche renouvelée de mon travail en gravure sur pellicule. Cela touchait autant l’étalement des animations sur ma boucle en situation de performance que la structure image par image des animations et, également, une redéfinition des rapports avec la musique. Par exemple, j’ai décidé ce cesser de remplir totalement la boucle lors des performances et de concentrer le travail sur de courts segments séparés par du noir, sur lesquels je faisais de multiples interventions successives, allant dans le sens d’une complexification de la structure rythmique et l’intensification de la charge énergétique. J’y ai aussi entrevu un croisement possible entre la gestion sophistiquée des blinks et des blanks chez McLaren et l’approche graphique physique et dynamique de Len Lye dans Free Radicals et Particles in Space. Norman McLaren et Len Lye, les deux maîtres de mon début de carrière, plus de cinquante ans plus tard, demeuraient toujours présents dans ma démarche.

 

L’exploration qui a suivi s’est organisée autour d’une série d’étapes bien distinctes qui chacune défrichait un terrain sur lequel la phase suivante allait pouvoir se développer. Au printemps 2016, j’ai gravé en 16 mm une série de courtes boucles que j’ai d’abord publiées sous forme de GIF’s sur Facebook, et qui ont mené à la réalisation d’un premier film Scratch – tryptique 3. Toujours à partir du même matériau de base, j’ai élaboré une première installation vidéo pour l’exposition collective Hors Pages au centre Clark en janvier 2017 (trois écrans plats, sans trame sonore). Le 6 avril 2017, j’ai présenté une performance de gravure sur pellicule en direct à la Cinémathèque québécoise, avec les musiciens Malcolm Goldstein et John Heward, qui a été suivie d’une seconde installation vidéo, Scratch-2, polyphonie de clignotements, également à la Cinémathèque québécoise, avec la collaboration des deux mêmes musiciens (installation à grande échelle avec projection de trois boucles de longueurs inégales induisant un constant décalage entre les blocs d’images et les segments musicaux).

 

J’en suis maintenant à l’étape finale de ce plan d’action, la réalisation d’un film qui, je l’espère, va permettre de donner une conclusion provisoire à cette année d’expérimentation, en mettant à profit tout ce que j’ai appris et développé au cours de ce processus. J’ai rapidement fait l’assemblage d’une version monobande de l’installation vidéo Scratch-2, qui peut être considérée comme une sorte d’esquisse du film à venir. Il faut comprendre que comme cela a été le cas pour le passage de la performance du 6 avril à l’installation du 28 avril, aucune des images qu’on trouve dans l’installation et dans ce court essai ne servira dans le film à venir. Il s’agira encore une fois de totalement refaire de nouvelles animations qui, bien que directement inspirées de celles que j’ai créées pour l’installation, se développeront selon une approche sensiblement différente.

 

Depuis le début du projet Scratch, allant des premières boucles diffusées sous forme de gif’s aux animations de l’installation Scratch 2, tout mon travail a consisté à travailler sous forme de fragments relativement courts qui chacun constituait l’exploration d’une formule d’alternance de fils d’animation distincts superposés en modules de deux, trois ou quatre images. Les œuvres se sont présentées comme des assemblages modulaires à partir d’une librairie de petits blocs, les gif’s pour Scratch – triptyque 3 et l’installation vidéo de janvier 2017, et une autre série de blocs, animés dans ce cas sur de la pellicule 35mm, pour l’installation vidéo Scratch-2 et sa version monobande. L’animation des derniers segments de ce deuxième ensemble a laissé apparaître la possibilité d’un fil prosodique se déployant en continuité et en longueur, échappant ainsi au cadre de la construction par petits blocs. On peut voir ces segments nettement plus longs, entre 3:28 et 4:32, dans le document à l’appui Scratch-2.

 

Il ne s’agit pas uniquement d’une question de longueur, mais également d’une structuration différente du flux animé que je désigne comme «prosodique». Avec ces segments, j’ai commencé à élaborer un nouveau vocabulaire qui va dans le sens d’une grande plasticité des variations de dynamique et d’intensité et laisse place à un discours cinématographique se déployant selon son énergie immanente. C’est la direction dans laquelle je compte aller avec cette nouvelle phase de mon projet «Scratch». Il s’agira du point d’aboutissement de ma réappropriation de la gravure sur pellicule et du premier pas d’une pratique renouvelée de cette technique d’animation.

 

Les deux musiciens Malcolm Goldstein et John Heward sont associés à ce projet depuis le printemps 2016. La musique du film Scratch – Triptyque 3 m’est venue de Malcolm Goldstein. J’étais à l’époque déjà en discussion avec John Heward au sujet d’une éventuelle performance qui a finalement été présentée à la Cinémathèque québécoise en avril 2017, et à laquelle Malcolm Goldstein s’est associé. Suite à la performance, une session d’enregistrement en studio a eu lieu où les deux musiciens ont été enregistrés séparément. Chacun devait faire, dans l’esprit de ce qui avait eu lieu lors de la performance, une demi heure de musique en procédant par blocs de plus en plus longs séparés par des silences. J’ai construit les trames sonores de l’installation à partir de ce matériel modulaire. La version monobande «Scratch 2» également. Je compte procéder de la même façon pour le film proposé. Cela est possible car, d’une part, je n’ai utilisé à ce jour qu’une petite partie de ce que nous avons enregistré et, d’autre part, au-delà de leur structure modulaire, ces enregistrements peuvent également être pris dans leur continuité. Le principe de cette approche est que ni l’image ni la musique ne se précèdent l’une l’autre, l’animation n’étant pas faite d’après la musique et la musique n’étant pas composée pour s’ajuster à une trame image préexistante. Il s’agit ici de construire la combinaison image/musique dans un seul et même mouvement. Au fur à mesure du progrès du film, je procéderai à l’assemblage de ces fragments musicaux tout en respectant la prosodie propre du jeu de chacun des deux musiciens. Je travaillerai d’abord à partir de la matière musicale dont je dispose déjà, mais il est probable que nous ayons à retourner en studio pour compléter le processus