Berlin – Le passage du temps (Lieux et monuments-6)
Installation vidéo de Pierre Hébert
Musique de John Barrett
Assistants : Nicolas Brault et Clémence Renaud-Allaire
Produit avec l’aide du Conseil des Arts et des Lettres du Québec et de Vidéographe
Un monument apparaît pour la première fois dans un de mes films : La Statue de Giordano Bruno (2005). Avec Herqueville (2007), je fais une première tentative d’animation minimaliste qui caractérisera toute la suite. Praha-Florenc (2009) inaugure la série Lieux et monuments. Suivent Place Carnot – Lyon (2011) et Rivière au tonnerre (2011). En 2012, je reçois la bourse de carrière du Conseil des arts et des lettres du Québec, étalée sur deux ans, pour poursuivre ce projet. J’entreprends une longue suite de tournages, dont résultent John Cage – Halberstadt (2013) et l’installation vidéo Berlin – Le passage du temps qui clôt cette période et me permet de poser un jalon provisoire.
Mon objectif était de tourner, un peu partout dans le monde, des scènes ordinaires de la vie quotidienne se déroulant autour de monuments ou de quoi que ce soit pouvant être considéré comme marqueur de temps, d’histoire, de mémoire et d’oubli. La notion de «monuments» était donc très large, à la fois modeste et ambitieuse. Je trouve, au hasard de flâneries dans les villes où je passe, des monuments oubliés, perdus ou carrément disparus. Je tourne en plan fixe, longtemps, attendant que «quelque chose» se passe. Car, en principe, il se passe toujours «quelque chose». Parfois, c’est au cours du visionnement qu’un détail me saisit et me permet de faire de ces situations singulières et minuscules des allégories du temps qui passe.
Je procède d’abord à un démembrement du tournage pour ensuite le recomposer en une entité compacte à l’aide d’outils numériques. C’est une opération d’animation «invisible» qui altère complètement la durée sans effacer son grain de réalité. Ensuite, ce bloc opaque est soumis à la morsure d’interventions animées, manifestes et vibratoires, qui le mènent à un état d’incandescence où il se consume en des éclairs de significations imprévues.
La première fois que je suis allé à Berlin, ville qui semblait très prometteuse pour mon travail, je n’ai d’abord rien trouvé à tourner. Tout ce qui touchait à l’histoire me semblait stéréotypé. Il m’a fallu pénétrer patiemment dans la texture de la ville, avec l’aide d’amis qui m’ont entraîné, l’un à l’aéroport Tempelhof qui recèle, entre ses pistes abandonnées, la mémoire du pont aérien de 1948/49, et l’autre, devant le chantier de reconstruction du palais impérial des Hohenzollern, sur cette esplanade où se sont succédé tant d’édifices de pouvoir. Les pélerinages sur la Bertolt-Brecht-Platz et sur la Walter-Benjamin-Platz tenaient de mon panthéon personnel. J’ai croisé les mariés de Brandenburger Tor et l’accordéoniste de Friedrichstrasse par pur hasard. Le «mur» fut une affaire plus ardue. Pour la dénouer, il a fallu, à Potsdamerplatz, un pigeon insouciant traversant la ligne de démarcation et, sur Rudolfstrasse, un maçon travaillant tranquillement devant moi et ma caméra, sans nous remarquer.
Les images de Berlin ont proliféré, imposant la forme kaléidoscopique d’une installation. Quatre écrans et quatre boucles de longueurs inégales, en constant décalage, proposent un récit en spirale, sans début ni fin, devant lequel le visiteur déambulera entre la contemplation globale des interactions croisées et la vision concentrée de capsules qui constituent autant de petits films presque autonomes. Peu importe le temps qu’il y passera, il sera marqué par l’expérience d’un état de l’histoire dont il portera en lui la totalité telle que perçue dans le prisme du plus court instant.