Proposition d’un workshop sur le thème animation et documentaire présenté à l’Atelier Graphoui, à être tenu du
Il faut d’abord noter que je ne suis pas un «professeur d’animation». L’atelier ne se présentera donc pas sous la forme d’un court magistral. Il s’agira plutôt d’une formule du genre «classe de maître», c’est-à-dire que l’ensemble sera basé sur mon expérience personnelle de création et sur les efforts de réflexion qui l’ont accompagnée. C’est donc à travers un contact le plus profond et le plus personnel possible avec une expérience spécifique de création, où j’ai sans cesse cherché à mettre l’animation à l’épreuve du réel, que les participants seront amenés à extraire les éléments qui peuvent leur être utile pour définir leur propre vision. Mon intention n’est donc pas de présenter mon expérience comme la seule approche possible. L’atelier comprendra deux grands volets, un volet théorique et un volet pratique.
Volet théorique :
Au premier abord, le thème animation et documentaire ne va pas de soi. Dans l’esprit de la plupart des gens, le terme cinéma d’animation est plutôt associé à ceux de fantaisie et de fantasmagorie du fait qu’il présente des univers inventés qui ne sont pas fondés sur un lien photographique avec les apparences visibles. C’est là une donnée technique incontournable. La réflexion au sujet des rapports possibles entre l’animation et le réel (qui devrait être au cœur de toute élaboration d’une conception documentaire de l’animation) est totalement contaminée par cette question de l’opposition entre cinéma image par image et cinéma de prise de vues réelles et par l’idée reçue que le tournage réel est naturellement plus apte à saisir la vérité du réel. Cette idée peut-être critiquée sur deux plans différents. D’une part, on peut douter que la vérité du réel soit toujours de l’ordre du visible donc directement captable par une caméra, et d’autre part, on peut constater ,que depuis une bonne dizaine d’années, le développement des technologies numériques de l’image a fortement entamé la crédibilité inhérente de la captation photographique du réel qu’elle soit fixe ou en mouvement, ce qui amène certains (comme Lev Manovitch) à affirmer que désormais le tournage réel n’est qu’un cas particulier de l’animation. Le lien photographique n’est plus la preuve de rien. J’en conclus que si on veut aller au-delà des exemples les plus évidents du lien entre l’animation et le documentaire (du genre intégration de segments animés à caractère plus ou moins didactique dans des films documentaires classiques), il faut en passer par une critique du documentaire au sens convenu du terme et méditer l’affirmation du grand documentariste Néerlandais Johan Van der Keuken :«Je ne documente rien !»
L’ensemble de mon travail s’est toujours situé, sur des modes variables, à l’intersection de ces deux axes animation/images de prise de vues réelles et animation/réalité. À cela s’ajoute, plus en profondeur, un troisième axe qui a à voir avec ce dont l’animation prise en elle-même est la réalité. En écrivant cela, je pense d’abord au lien problématique entre l’image synthétique mouvante sur l’écran, l’acte d’animer et le corps de l’animateur. Donc l’animation comme subjectivité radicale. Je pense aussi aux liens tout aussi problématiques que l’image par image entretient avec l’histoire du cinéma, d’une part, comme mémoire permanente de son origine et, d’autre part, comme révélateur des enjeux de sa dissolution dans le nouvel univers audio-visuel numérique. Donc l’animation comme historicité radicale du cinéma.
Ces notions ne seront pas présentées de façon abstraite. C’est à travers l’analyse d’un certain nombre de mes films qu’on verra comment, dans chaque cas, se sont joués concrètement les rapports entre ces trois axes. En ajoutant des commentaires sur un certain nombre d’autres films, le but sera de dresser une cartographie, non exhaustive bien sûr, de différentes approches possibles. Le tableau envisagé sera donc assez large et débordera ce qu’il est convenu d’appeler «documentaire», tout en gardant «le documentaire au sens usuel du terme» comme référence prédominante. C’est ma conviction que seule une telle largeur de vue peut permettre de bien comprendre comment l’animation peut relever un pari documentaire. Ce fut du moins ma perspective de travail et ce que je peux transmettre.
Volet pratique
Il s’agira, en tenant compte des limites de temps imposées par la durée globale du workshop, d’un petit exercice collectif centré sur le rapport entre l’animation et des images de prise de vues réelles. Chacun interviendra brièvement sur un même segment d’images réelles avec des traits qui ou bien soulignent certains aspects de ces images, influant ainsi sur la perception qu’on en a, ou encore, qui ajoutent quelque chose à l’image réelle, révélant des aspects invisibles de ces images. Il en résultera un court film composé des interventions de tous les participants. L’exercice est conçu de sorte à ce que n’importe qui puisse s’y intégrer, quel que soit son degré d’habileté en dessin ou son degré de connaissance préalable de l’animation. Compte tenu de la durée du workshop, le but de l’exercice n’est pas d’apprendre à animer. Ce sera l’exploration d’une virtualité de l’animation.