Mais un oiseau ne chantait pas à Annecy

Tiré du jour 6 du blogue de Nicolas Thys sur le Festival d’Annecy, publié sur le site de la revue 24 images.

Officieusement, la sixième compétition courte est celle du « off limit » qui existe depuis 2014. Elle vise à interroger les limites et les frontières du cinéma d’animation et des autres formes. Cette année, la sélection fût la plus belle à laquelle on ait assisté, avec des œuvres plus ou moins intéressantes mais sans une seule véritable fausse note quant à la qualité des films diffusés, qui en outre semblaient parfois se répondre. Tout juste pouvait-on se demander pourquoi Leaking life de Shunsaku Hayashi et But one bird sang not de Pierre Hébert y figuraient. Loin d’être « off limit », ce sont simplement deux magnifiques films d’animation. Probablement trop expérimentaux pour la compétition officielle, et c’est dommage car ils l’auraient méritée.

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La sélection proposait également deux regards différents sur les liens que peuvent entretenir musique et cinéma d’animation avec But one bird sang not de Pierre Hébert et Matter and motion de Max Hattler. Le premier grave sur pellicule, le second modélise et joue sur des abstractions géométriques abstraites, les deux formes puisant leurs origines dans un fond mclarenien tout en s’en détachant. Plus simple en apparence, Hattler se demande comment des nappes sonores desquelles surgissent certaines notes peuvent induire certains types de mouvements et de couleurs. Sans avoir recours au VJing, son idée est commune et son film semble une parenthèse basique dans le programme. Pour prendre sens, il mériterait d’être mis en parallèle avec ses précédentes œuvres : à quand une rétrospective ? Pierre Hébert, quant à lui, propose un nouveau film dans un rapport plus intime entre sa technique et l’instrument de Malcolm Goldstein dont il revit un morceau. Le violon et ses nuances surgissent sur l’écran noir dans le mouvement des courbes vibrantes du graveur, blanches d’abord puis de plus en plus rouges avec ce que la couleur apporte de symboles. La pièce de Goldstein était une relecture, écrite dans les années 1990, d’un chant populaire bosniaque et offerte comme un « geste d’espoir », selon la description du film dans le programme. Mais plus que le violon, c’est la relecture du morceau par l’animateur qui transparaît avec ses dissonances, sa linéarité, ses brisures, ses explosions, sa danse. Le tout est justement amplifié par les gestes de Pierre Hébert, minuscule chorégraphie sur une partition pelliculaire qui se trouve projetée sur un grand écran et dont on perçoit alors la moindre trace. Jusqu’au moment où tout éclate. Le naturellement noir de l’écran et blanc des lignes disparaissent pour devenir flickers bleus et rouges, déflagrations lumineuses qui envahissent l’espace-temps et la bonne marche du trait gravé. Puis tout s’apaise à nouveau. Tout en ayant l’impression d’entendre la gravure comme de voir se dessiner le son du violon, on se prend à penser qu’on est ici en présence de deux variations nouvelles sur des objets connus mises en commun dans une œuvre qui dépasse largement la simple interprétation filmique d’une pièce de musique pour se tourner vers les remous de l’Histoire.

 

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