Taipei – le mausolée Sun Yat-sen
J’ai mentionné il y a quelques jours que j’appréciais quand, dans mes tournages, il y avait des gens qui photographiaient ce que je filmais. Au mausolée de Sun Yat-sen de Taipei, j’ai été bien servi sur ce plan. La veille, j’étais allé filmer le mausolée de Tchang Kaï-chek, dont le cadre est beaucoup plus imposant, et j’avais eu droit à une grandiose cérémonie militaire à laquelle assistait toute une cohorte de touristes venus de la Chine continentale. Grâce à la complicité d’un gardien, j’avais pu me placer à l’endroit stratégique pour tourner ça, exactement au centre et au premier rang d’une ligne restée imaginaire jusqu’à ce qu’on fasse reculer les touristes.
Etan Chen, remarquable photographe taïwanais qui était un de nos hôtes, a tenu à ce que je voie aussi le mausolée de Sun Yat-sen, véritable fondateur de la Chine moderne, et m’y a entraîné. Selon ce qu’on m’a dit, les Taiwanais de souche n’ont pas une haute estime du généralissime qui leur a imposé plusieurs décennies d’une loi martiale féroce. Il y a une dizaine d’années, lorsque le Kuomintang a perdu le pouvoir pour un mandat, on a même considéré déboulonner la statue. Bref, je le suis, sans trop d’empressement, et je me retrouve dans ce lieu plus intime où il y a tout de même une statue monumentale du grand homme et un certain décorum. En voyant ces images pour la première fois cette semaine, un possible film s’est profilé : le contraste entre les deux lieux, qui ne reflète pas du tout l’importance historique respective des deux personnages, et, en ce qui concerne le mausolée Sun Yat-sen, la façon qu’ont les chinois de s’entre photographier et de prendre la pose, le manège agressif du gardien-protecteur du décorum et, surtout, ces trois hommes âgés qui viennent incliner le torse devant la statue par respect, geste éminemment japonais – il faut se rappeler que Taiwan fut sous domination japonaise pendant un siècle jusqu’à la Deuxième guerre mondiale. Ces trois hommes solitaires et graves ressortent avec une grande force historique au milieu du ballet photographique qui les entoure. Ça devrait être le cœur du film. Ce sont d’autres images qui attendent leur tour.