Mazen Kerbaj
Chaque fois que je dessine des têtes, je pense à Mazen Kerbaj. Mazen est un bédéiste, peintre, et trompettiste libanais. C’est un fin et impitoyable observateur de la société libanaise. Je l’ai rencontré en mars 2007, à Beyrouth, au moment de la première représentation de la performance Special Forces (Living Cinema – 3, avec Bob Ostertag), pendant le Festival de musique expérimentale Irtijal, dont il est un des animateurs avec, entre autres, le guitariste Sharif Sehnaoui. Notre pièce traitait du bombardement du Liban par Israël à l’été 2006 et avait, comme leitmotiv, l’image de l’enfant qui servira plus tard de thème à You look like me.
Du 14 juillet au 22 août de cette année-là, coincé dans son appartement de Beyrouth, Mazen publie sur le web une chronique dessinée de l’attaque et joue de la trompette sur son balcon aux sons des bombardiers israéliens et des déflagrations des missiles. Un musicien jouant accompagné par le tapage du bombardement comme par un orchestre, même s’il n’y a personne pour l’écouter, je trouve que c’est une image très forte qui souligne le rôle crucial de l’art au moment où la «politique» au sens restreint est dans un total cul-de-sac. Aussi futile et imperceptible que paraisse son action, l’artiste est contraint d’accepter aujourd’hui un impératif de nécessité et de responsabilité totale. C’est également le message réel des jihadistes parisiens. Il ne s’agit pas tant de défendre le droit de parole que de voir que le droit de parole est l’arme qu’il nous reste.
Par la suite, lors d’un deuxième voyage à Beyrouth, il m’a coaché pour la performance en arabe de Seule la main… et a joué de la trompette avec les mouches de 49 Flies. Nous avons échangé des dessins de «têtes» (Mazen est un maître des têtes). Ci-dessous, encore tirés de mon coffre aux trésors, une «tête» de Mazen échangée contre une des miennes de la série Tropismes, le livre du blogue dessiné des bombardements et une poupée, achetée dans une brocante de Barcelone, qui figurait dans la performance 49 Flies. Les chats de Sharif l’ont fait tomber par terre pendant que je répétais dans son appartement. La tête en porcelaine s’est fracassée. Je l’ai recollée mais ça lui a laissée une mauvaise cicatrice et un air terriblement glauque.
Le dessin est une œuvre conjointe de Mazen et de sa mère, Laure Ghorayeb, qui a également tenu sur le web un blogue dessiné pendant les 33 jours du bombardement de 2006.
Beyrouth juillet-aout 2006, Mazen Kerbaj, L’association, Paris, 2007.
33 Jours, Laure Ghorayeb, Éditions Amers-Al Maslakh, Beyrouth, 2007.