Pourquoi moi, cinéaste, je décide de faire une installation vidéo (pour la deuxième fois). La première réponse est la même que ce qui m’a amené, il y a bientôt 25 ans, à commencer à faire des performances d’animation en direct. C’est une raison très pragmatique qui a à voir avec ma profonde insatisfaction quant à la diffusion de mes films. Je fais des objets qui ne trouvent pas le chemin qui prennent «normalement» les films, dans les salles de cinéma ou à la télévision. Ce sont des courts métrages, pas tout à fait des films d’animation, pas tout à fait des films expérimentaux, pas tout à fait des documentaires. Ils ne correspondent à aucun réseau. Je ne peux pas m’en plaindre car c’est bien délibérément que je fais les films que je fais. Alors toute piste qui me permet de trouver des publics et de montrer mon travail de façon singulière est bienvenue même si cela m’éloigne du dispositif du cinéma (tel que défini par Raymond Bellour) et me place dans une situation encore plus singulière, peut-être encore plus isolée.
Ce n’est pas bien sûr la seule raison. Le projet «Berlin» m’a placé face à des décisions inhabituelles dans la série des films «Lieux et monuments». Jusqu’à maintenant, à chaque ville ou chaque lieu correspondait un film. É Berlin (pas seulement à Berlin, également à New York au moment de l’ouragan Sandy et au Chiappas pour la fin du monde selon le calendrier Maya, cela semble correspondre à une inflexion générale de ma façon de tourner), j’ai fait face à une prolifération de tournages qui documentaient des situations différentes et je n’allais pas faire cinq ou six courts-métrages sur la même ville. En outre. ces tournages semblaient demander à être mis en relation entre elux. Et je n’arrivais pas à concevoir ces mises en relation sur le mode univoque qu’aurait impliqué le cadre d’un film plus long. Chaque segment semblait imposer une multiplicité de relations possibles avec tous les autres, à laquelle la constitution d’une continuité linéaire ne semblait pas pouvoir rendre justice. En tout cas pas dans l’immédiat. Je sentais donc le besoin d’une expérimentation touchant l’ensemble des relations possibles permises par le matériel tourné. C’est donc fondamentalement un problème de montage qui m’a amené à faire exploser cette matière sur quatre écrans simultanés et à les soumettre à une désynchronisation systématique qui permette d’altérer constamment les mises en relation.
Il s’agissait donc fondamentalement d’un problème de «cinéma» visant à expérimenter une forme de montage étendue impliquant des flots multiples et des relations flottantes. C’est probablement pourquoi je n’ai pas particulièrement été intéressé par la dimension spatiale du dispositif, je n’ai pas cherché à inventer un nouveau dispositif comme c’est le plus souvent le cas pour les installations vidéo. Seule la multiplicité des écrans m’intéressait et la mise en relation des images. J’ai donc opté pour une disposition assez banale (quatre écrans côte à côte), d’une simplicité qui permette précisément de mettre l’accent essentiellement sur les relations entre les images. C’est une façon étendue de faire du montage et en ce sens même si ça rompt avec le dispositif normal du cinéma (des spectateurs immobiles dans une salle noire devant un objet d’une durée déterminée) ça reste un travail de cinéma, je crois, ou au moins qui fait signe au cinéma. De ce point de vue c’est à peine une installation.