Dans sa conception même, l’installation ocille entre une construction générale diffuse et flottante, sans début ni fin, qui s’accomode assez bien du passage de durée variable d’un visiteur plus ou moins attentif et des petits blocs où une altération «dramatique» du temps et de l’espace a lieu qui fait qu’il y a un avant et un après. Pour en percevoir le sens, il faut donc préférablement les voir au complet, du début à la fin. La construction générale permet une déambulation dont la durée n’a pas beaucoup d’importance, la présence des petits blocs «dramatiques» exige l’arrèt devant les court «film» pendant une durée déterminée (entre 3 et 5 minutes selon les segments) ce qui reproduit d’une certaine façon la situation d’un spectateur de cinéma qui doit s’immobiliser pour une durée définie devant un seul écran (selon les remarques de Raymond Bellour sur la spécificitée du dispositif «cinéma»). Il y a donc dans cette oeuvre une tension entre «cinéma» et installation, une solliscitation cinématographique au sein d’une installation (qui correspond à un type de déambulation spécifique, à savoir s’approcher d’un écran ou de l’autre pour un moment d’arrêt.
Berlin – Le passage du temps / 14/01/2014
Il y a donc une double articulation des divers éléments dans l’installation. Il y a d’abord ce qui fait que les quatre écrans puissent former un tout et soient tenus ensemble par une forme qui repose sur les liens thématiques entre les écrans (par exemple le fait que des échos d’un des segments principaux apparaissent sur un autre écran) ou encore sur le fait que certains caratères relient des segments nettement différent par ailleurs (par exemple les thèmes des clotures en fil de fer, des gravats, des containers, des grues ou des bicyclettes), ou finalement, de façon plus formelle, sur des liens dynamiques fondés sur l’apparition de points d’intensité qui se répondent d’un écran à l’autre (par exemple, tout ce qui évoque le tournage de la ville à partir des trains aériens).
Berlin – Le passage du temps / 12/01/2014
Texte écrit pour le catalogue du Festival international du film sur l’art pour présenter l’installation, le programme de film «Lieux et monuments» et la mise en ligne de la version web de l’installation :
Un monument apparaît pour la première fois dans un de mes films : La Statue de Giordano Bruno (2005). Avec Herqueville (2007), je fais une première tentative d’animation minimaliste qui caractérisera toute la suite. Praha-Florenc (2009) inaugure la série Lieux et monuments. Suivent Place Carnot ‘ Lyon (2011) et Rivière au tonnerre (2011). En 2012, je reçois la bourse de carrière du Conseil des arts et des lettres du Québec, étalée sur deux ans, pour poursuivre ce projet. J’entreprends une longue suite de tournages, dont résultent John Cage ‘ Halberstadt (2013) et l’installation vidéo Berlin ‘ Le passage du temps qui clôt cette période et me permet de poser un jalon provisoire.
Berlin – Le passage du temps / 11/01/2014
Je me pose continuellement ces jours-ci le problème de savoir combien de temps des visiteurs pourront rester devant l’installation et de quelle façon ils vont la regarder. Je vois bien que je ne suis plus bon juge pour certains aspects. Les visionnements hebdomadaires que je fais sur quatre écrans me sont encore très utiles pour juger de la composition d’ensemble et ils sont essentiels pour travailler sur l’équilibre sonore et sur le volume minimum auquel l’installation garde encore son sens. Mais en ce qui concerne la sollicitation à aller regarder un écran ou l’autre en particulier, je suis totalement démuni. Je connais trop bien chaque segment pour ressentir cette invitation à m’approcher. Lorsque l’installation sera en place à Paris et à Montréal, je vais donc devoir passer du temps à observer incognito le comportement des visiteurs, leur déambulation et combien de temps ils passent devant l’installation.
Berlin – Le passage du temps / 07/01/2014
L’installation est composée de 24 segments répartis sur 4 vidéo en boucle qui joue sur chacun des quatre écrans. Les boucles sont de longueurs inégales (12:44, 10:07. 9:38 ET 8:00) et les segments dont sont composées chaque boucle sont également de longueur et d’importance très variables. Il y a 7 segments majeurs (dont les longueurs varies de trois à cinq minutes) qui sont le chantier du nouveau Stadtschloss, l’aéroport fermé de Tempelhof, 3 segments du mur sur Rudolfstrasse, un segment du mur à Postdamplatz, Bertolt-Brecht-Platz, Walter-Benjamin-Platz et la station S-Bahn de Warshauerstrasse. Il y a 4 segments de longueur intermédiaire de plus ou moins 2 minutes qui sont un plan des grues du chantier du Stadtschloss, une accordéoniste de rue de la station Friedrichstrasse, des nouveaux mariés à Brandenburger Tor, nouvelle construction et squat sur le bord de la Spree, tourné du S-Bahn. Il y a finalement un grand nombre de segments courts (moins de une minute) dont des tournages de la ville à partir des trains, des bateaux de touristes sur la Spree, et divers rappels des segments majeurs.
Berlin – le passage du temps / 05/01/2014
L’installation «Seule la main…» fut montrée dans une très grande salle et avait un caratère nettement monumental. Étant donné le nombre d’écrans répartis sur trois murs. il aurait été difficile d’imaginer de la montrer dans un espace restreint, ce qui constituait un autre obstacle à sa diffusion plus large. Il est pensable de présenter Berlin avec quatre projections de grans format. L’effet serait certainement impressionnant, mais ce n’est pas ma solution préférée. Je privilégie une mise en espace plus intime avec quatre écrans plats placés côte à côte sur une ligne horizontale. Ce n’est pas une disposition très originale mais elle offre quelques caractéristiques essentielles. Du fait qu’il s’agit d’écrans plats d’une dimension qui ne doit pas être excessive (à la cinémath;que québécoise j’utilise quatre écrans de 32 pouces), cela permet au visiteur de s’approcher des écrans pour concentrer son attention sur certains des segments dont est composée l’installation, tout en n’étant jamais qu’à quelques pas d’une position de recul qui permette de contempler l’ensemble des quatre écrans. Autre aspect, comme chaque écran diffuse sa propre trame sonore, la circulation d’un écran à l’autre produit un mix naturel entre les sons émis par chaque écran. Donc une telle disposition permet de passer rapidement d’une posture où les rapports entre les images qui apparaissant sur les différents écrans dominent, à une autre posture où l’observation sur l’un ou l’autre écran de segments précis (qui prennent alors valeur de petits films distincts qu’ils sont presque) occupe toute l’attention du spectateur, elle entraine également une variation constante du volume relatif des quatre trames sonores.
Berlin – Le passage du temps / 03/01/2014
Après l’expérience de la présentation de l’installation Seule la main…, en 2009, quelques conclusions impératives s’imposaient à moi pour une future installation : 1- simplicité technique, c’est à dire que j’allais éviter de devoir synchroniser les différentes sources; 2- une conception de la structure de l’oeuvre qui tienne compte du fait, qu’au delà de tout controle, les visiteurs arrivent et repartent quand ils veulent, donc une installation qui n’aie ni début ni fin et dont on puisse saisir l’idée à partir d’un temps très réduit; 3- une grande maléabilité sur le plan du déploiement spatial, donc une installation qui puisse s’accomoder tant de projections à grande échelle à caractère immersif dans un volume important qu’une présentation très compacte sur écrans plats à laquelle un pan de mur de moins de trois mètres puisse suffire.
«Berlin – Le passage du temps» – 02/01/2014
«Seule la main…» fut une installation vidéo issue d’une série de performances qui consistaient à animer en direct un court texte «Seule la main qui efface peut écrire la vérité» (faussement attribué à Maitre Ekhardt, il semble) en autant de langues différentes que possible, présentées ou bien devant des locuteurs de chacune des langues, ou bien dans des lieux qui avaient à voir avec ces langues. Il y a eu au total une vingtaine de performances en autant de langues différentes un peu partout dans le monde. La dernière fut en langue arabe à Beyrouth, le 7 mai 2011. Elle fut consciemment la «dermière» car c’était lors d’une performance en français à Beyrouth devant les étudiants de l’université St-Joseph, le 29 mars 2007, que l’idée d’en faire un projet multilingue s’était imposée. Ce qui impliquait de devoir la faire un jour à Beyrouth en langue arabe pour clore l’expérience. L’idée d’en faire une installation vidéo a commencé à s’imposer lorsque je me suis mis à faire des performances à trois écrans, la nouvelle langue fait en direct étant accompagnée de chaque côté de la projection des captations de deux performances déjà faites. C’était déjà un mixte entre performance et installation.
Berlin – Le passage du temps / 01/01/2014
Tout en travaillant à la phase finale de mon installation vidéo Berlin – Le passage du temps, je suis en train de lire le livre de Raymond Bellour, La querelle des dispositifs, qui traite précisément de l’écart entre installation et cinéma et qui vise à définir une spécificité irréductible du cinéma. Cette lecture m’est très utile tant par son propos fondamental sur la différence entre le dispositif du cinéma (salle obscure et immobilisation du corps du spectateur) et les différents dispositifs d’installation ou d’exposition d’images en mouvement que par l’imposant répertoire d’installations qui sont décrites et commentées dans le livre. Je dois bien admettre mon manque de connaissance en ce domaine que, je m’en rend compte, j’aborde assez naïvement sans avoir vu beaucoup d’oeuvres. Je ne sais vraiment pas comment mon installation apparaîtra dans le monde multiforme de l’installation vidéo.