Je viens tout juste de terminer le travail de vidéo et d’animation pour le spectacle Nitshisseniten E Tshissenitamin (Je sais que tu sais) de Chloé Sainte-Marie, après plus d’un mois de travail intense (12 à 14 heures par jour). La première Montréalaise a eu lieu la semaine dernière au Théâtre du Gesu (deux représentations, mercredi et vendredi) et a reçu un accueil enthousiaste du public et de la critique. Mais hier je travaillais encore à modifier les DVD’s en vue de la première à Québec demain soir. Je suis content et épuisé de ce travail (ces jours-ci l’ombre de la grippe plane sur moi). Ce fut une aventure profondément intéressante, entre autres parce qu’elle s’est déroulée de façon aussi concentrée, ce qui dans l’absolu apparaissait comme un problème et qui n’a pas manqué de tout de même poser quelques problèmes. Mais tout est bien qui finit bien.
Au départ (c’est-à-dire au début du mois de janvier, en réalité tout a commencé avec le tournage mémorable à Mingan en aout dernier), j’ai été assez déstabilisé par la proposition scénographique de Simon Guilbault qui m’imposait des surfaces de projections très contraignantes : deux écrans courbées, fabriquées en bois, de formes asymétriques et complètement hors norme, aux proportions très allongées qui n’avaient rien à voir avec les cadrages soignés que j’avais fait en aout. J’ai d’abord résisté à ce qu’on adopte cette formule qui me semblait très risquée compte tenu du peu de temps que j’avais pour travailler. La metteuse en scène, Brigitte Haentjens, a finalement tranché en faveur de cette proposition et, de là, j’ai tout fait pour intégrer mentalement ces formes. Au bout du compte, je dois reconnaître que cela m’a poussé dans des directions où je ne serais pas allé et que ce fut une puissante source d’invention.
Jusque là, j’avais imaginé ce travail sous forme de vastes percées de paysages nordiques derrière Chloé, ce qui impliquait presque de projeter sur le fond de scène. J’ai réussi à assumer la proposition de Simon lorsque j’ai compris que j’avais à travailler avec des fragments d’images et non avec une trouée spatiale. Il y avait plusieurs conséquences à ceci, d’abord la possibilité de mise en relation des deux surfaces de diverses façons, et ensuite, la possibilité de créer ainsi une image virtuelle invisible, mais prégnante, beaucoup, plus vaste qui affecte la totalité de l’espace scénique. Le format très horizontal des surfaces de projection démultipliait également les possibilités d’usage de mon tournage original. Dans chaque image, il y avait plusieurs cadrages possibles. Finalement, deux fragments d’image en appelait un troisième, c’est-à-dire le corps de Chloé. Celle-ci avait souhaité au départ qu’il y ait des projections sur elle. On l’avait un peu découragé de cette idée. Mais, du coup, cela devenait presque nécessaire et ce fut la source d’effets très efficaces.
Les délais très serrés ne permettaient pas que je fasse beaucoup de travail d’animation. J’ai donc commencé en composant les images réelles de la Basse Côte Nord (souvent en associant le proche et le lointain) un peu à la façon de Herqueville. Ensuite seulement, j’ai animé des rehauts et des appliqués d’animation. Cela est en voie de vraiment devenir une de mes façons de travailler de prédilection. Cela accorde une place de plus importante au tournage réel qui est à l’origine de ces compositions. De ce point de vue, le tournage à Mingan a été une chose plus profonde que le tournage à Herqueville qui a été fait un peu à la sauvette en une demi journée. É Mingan, j’ai tourné pendant quatre jours et ça a eu le caractère d’une sorte de méditation. Je n’ai jamais regretté d’avoir dépensé pas mal d’argent pour acheter la caméra HD qui a non seulement servi en aout mais aussi pour tourner des répétitions et pouvoir fabriquer une sorte de maquette numérique HD du spectacle sur laquelle je pouvais, dès le début du travail, incruster les fragments d’images selon la position et la forme des écrans. Je pouvais ainsi, au fur et à mesure du processus, tout vérifier à l’échelle de l’ensemble du spectacle bien avant qu’il ne soit possible d’avoir des répétitions avec tous les éléments, décors, images et éclairages, effectivement sur scène, ce qui ne s’est produit que la dernière semaine avant le spectacle. Ce fut une méthode de travail très efficace qui m’a permis de ne pas rester à travailler pendant longtemps sur la base d’hypothèses invérifiables sauf à la toute fin. J’avais à tout moment sous les yeux une bonne idée de ce que serait l’image scénique finale
(à suivre)