Vu hier soir : Duplicity de Tony Gilroy avec Julia Roberts et Clide Owen. Il s’agit d’une histoire alambiquée d’espionnage industriel qui ne tient pas suffisamment par elle-même pour s’éviter une séquence finale qui donne la clef de ce qui s’est vraiment passé. Le film, assez amusant malgré tout, vaut surtout pour la performance des deux comédiens principaux qui est impressionnante. Mais ce dont je veux parler ici, c’est d’un aspect très secondaire du film.
Il s’agit de certaines interventions d’effets spéciaux ‘ si on peut les appeler ainsi car elles sont d’une grande simplicité et n’ont pas le caractère hyperbolique qu’on associe généralement au terme «effets spéciaux» – qui ponctuent assez régulièrement les passages d’une séquence à l’autre. Sous sa forme la plus simple, l’image se détache du cadre et s’éloigne dans une sorte de zoom out. Dans les cas plus complexes, l’image va se positionner dans l’écran et d’autres images apparaissent autour d’elle, et une de ces images vient occuper tout le cadre pour amorcer la séquence suivante.
Ce qu’il y a de surprenant dans ces interventions c’est que, bien qu’elles puissent avoir un certain effet de propulsion rythmique dans ce film d’action au tempo soutenu, elles ne sont ni particulièrement spectaculaires pour le commun des spectateurs qui en ont vu d’autres, et n’ont apparemment aucun rôle narratif. Par exemple, selon mes observations lors d’un premier visionnement, les écrans multiples ne servent pas du tout à présenter des actions simultanées qu’il serait utile de pouvoir suivre en parallèle, simplement à introduire la séquence suivante. On pourrait peut-être imaginer qu’il y a dans ces écrans multiples une évocation subtile des murs d’écrans de surveillance, ce qui pourrait avoir un certain sens dans l’intrigue particulière du film. Si c’est le cas, c’est tellement subliminal que ça ne permet pas d’éviter la séquence lourdingue de la fin, mentionnée plus haut.
L’hypothèse que je fais, c’est qu’il s’agisse d’une sorte de dislocation des formes de narration classiques du cinéma. La simple succession des plans, élaborée au montage, ne suffit plus. Une force centrifuge semble agir sur l’ensemble de l’édifice narratif centenaire. La construction temporelle compliquée du film avec des «flash-back» à répétition organisés chronologiquement en serait un autre symptôme. À cet égard, le fait que le «zoom out» sur l’image à la fin de certains «flash back» puisse rappeler les fermetures d’iris des films muets ne serait pas innocent : certaines formes de ponctuation propres à l’époque formative du cinéma classique réapparaîtraient au moment de sa dislocation.