3-Triptyque

Triptyque est maintenant devenu un film. Il y a toujours quelque chose d’arbitraire dans la décision de terminer un film, mais dans ce cas-ci plus que dans aucun autre. Après avoir écrit ce qui précède, j’ai continué le même travail de dosage, de ponctuation, de différenciation, couche après couche, laissant le film lentement dériver d’une forme à l’autre. Il se peut que je sois passé à travers plusieurs films différents au cours de cette itération dont rien ne m’assure qu’elle était vraiment terminée au moment de la clore. Il fallait tout simplement que ça cesse pour que je puisse passer à d’autres travaux qui devenaient très urgents. Cette entreprise est tellement extrême et radicale, que je n’ai pas beaucoup de critères sur lesquels m’appuyer pour juger de la fin de l’entreprise.

Le point de passage le plus important a été l’introduction en finale d’une carte des constellations en arrière-plan de l’animation. Il s’agit d’une «planisphère du globe céleste» gravée en 1658 par Nicolas Sanson d’Abbeville. J’ai longtemps hésité avant de l’introduire. J’ai d’abord considéré d’utiliser une carte géographique de la même époque qui se présente symétriquement en deux grandes zones circulaires placées latéralement, représentant les deux hémisphères occidental et oriental. J’ai finalement rejeté cette illustration car, du fait de la représentation des continents et des pays, elle prêtait flanc à une tentative d’interprétation politique qui n’avait rien à voir. J’ai finalement cru que le planisphère céleste (qui a également la forme d’une double hémisphère symétrique) avec la représentation des animaux mythiques correspondants aux diverses constellations, convenait mieux étant donné son caractère allégorique.

C’était une décision radicale, un coup de force, qui tout à coup donnait un caractère différent au film. En ce sens, je craignais d’aller trop loin et de détourner le film de sa simplicité conceptuelle d’origine. L’idée m’en est venue de l’allure très particulière que prennent les animations des écrans latéraux, vers la vingt-cinquième minute, lorsqu’une auréole de rouge vif apparaît autour des grandes formes tournoyantes et les fait ressembler à de grands dragons circulant dans un espace tout à coup moins abstrait. Le caractère fortement figuratif que prenaient soudainement les animations me semblait ainsi appeler une définition différente de l’espace, d’ouvrir le fond noir qui s’imposait depuis le début. Je trouvais plutôt heureux que la construction jusque-là assez conceptuelle du film puisse mener d’elle-même à une telle bifurcation.

Les grand dragons (je suis peut-être le seul à les voir) me semblaient se raccorder assez bien aux figurations allégoriques des constellations du planisphère et il me plaisait qu’à partir de là, rétrospectivement, on puisse comprendre les images du film comme des énigmes tracées dans le ciel. Il m’apparaissait cohérent que la figure humaine constamment sous jacente aux animations de l’écran central soit finalement située dans le cadre d’un univers peuplé de bêtes mythiques. L’effet est visuellement très satisfaisant et a la vertu d’annoncer une certaine résolution du film, l’approche de la finale, même si c’est de façon énigmatique. L’adjonction à la symétrie des trois écrans du triptyque d’une symétrie double selon un axe central est également assez heureuse. Cet axe central vertical, divisant l’écran en deux sections placées latéralement, était virtuellement présent depuis le début par la symétrie en miroir des deux écrans latéraux. Elle prend ainsi, à l’échelle du film, valeur d’une vraie résolution dans l’organisation générale des symétries. D’autant que, malgré sa division symétrique en deux hémisphères, ce planisphère est une image à part entière. De ce fait, on peut la considérer comme une projection de l’écran central, ce qui autorise que des éléments d’animation transgressent la division en triptyque et se déploient sur la totalité de la surface de l’écran.

Alors à tort ou à raison, j’ai accepté cet appel de l’hétérogène et de l’anachronique. Cela m’a permis d’interrompre le travail proliférant sur le matériaux issu des exercices d’animation, qui aurait pu se déployer à l’infini, et de mettre un point final au film. D’où la description suivante pour le catalogue du Festival du nouveau cinéma de Montréal où le film allait être présenté en octobre 2009 :

Triptyque: Exercices d’animation (comme on disait jadis «exercices spirituels») sur la complexité et la densité du temps humain, sur la main et le geste, sur les traces, les marques et les signes écrits dans un ciel mythique, sur la recomposition débridée des figures dans le temps machinique. Film extrême sur une musique tout aussi extrême de Bob Ostertag. «Signes qui rossent le perroquet…» comme écrivait le poète Henri Michaux.

(3 septembre 2009)

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1- Genèse – Exercices d’animation

2- Élaboration du film

3- Triptyque

4- Exercices d’animation – suite

5- Seule la main…

6-De nouveau la gravure sur pellicule en direct